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POUR
INFO
> J’ai
travaillé dans une usine de « transformation de viande », et je suis dégoûté
définitivement de toutes les viandes hachées surgelées et des plats
préparés.
> C’était tellement « fou » pour des gens normaux que ma famille m’a
conseillé de l’écrire quelque part, ce que je n’ai jamais eu le courage de
faire. Rue89 me donne l’occasion de témoigner, donc voici quelques souvenirs.
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> Dans ces usines, on transforme effectivement des bas morceaux tout à fait corrects en merde. La recette était simple : on recevait des palettes de bas morceaux de marques de boucheries industrielles connues comme Bigard, qu’on décongelait dans des barattes (des sortes de monstrueuses bétonnières de deux mètres de diamètre dans lesquelles on envoie de l’eau bouillante sous pression pour décongeler tout ça en vitesse), et on y ajoutait au cours de trois malaxages successifs entre 30 et 40% du poids en graisse, plèvre, cartilages et autres collagènes.
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> Dans ces usines, on transforme effectivement des bas morceaux tout à fait corrects en merde. La recette était simple : on recevait des palettes de bas morceaux de marques de boucheries industrielles connues comme Bigard, qu’on décongelait dans des barattes (des sortes de monstrueuses bétonnières de deux mètres de diamètre dans lesquelles on envoie de l’eau bouillante sous pression pour décongeler tout ça en vitesse), et on y ajoutait au cours de trois malaxages successifs entre 30 et 40% du poids en graisse, plèvre, cartilages et autres collagènes.
> On obtenait des quantités
phénoménales de purée de viande qu’on mettait dans des bacs de 10 kg et qu’on
tassait à coups de poings, puis qu’on renvoyait au surgélateur par palettes de
70 caisses. Oui, car on l’ignore souvent, mais on peut surgeler de la viande
plusieurs fois de suite, au contraire de la congélation classique.
>
>
> Azote
liquide pour agglomérer la viande
> Il y avait aussi la ligne des « cubes de viande ». Vous êtes vous déjà
demandé comment ils font pour vous servir des cubes de viande si magnifiquement
cubiques ?
> Voilà la recette : en sortie de baratte, les ouvriers au
nombre de deux ou trois piochent à la main d’énormes brassées de viande
sanguinolente, qui sont transférées dans une sorte d’énorme presse avec de
nombreuses « étagères ».
> On fait descendre les mâchoires qui
compressent cette viande, et pour mieux l’agglomérer, on fait circuler entre les
plaques (mais, je suppose, pas en contact direct avec la viande, enfin je
l’espère) de l’azote liquide.
> Quand cette machine était en route ça
puait tellement la chimie qu’on avait l’impression d’être près des raffineries
de l’Etang de Berre... L’azote étant un des composés de l’air, je suppose qu’il
s’évaporait au sortir de la presse s’il y avait eu contact avec la viande. Mais
quand même...
> Des petites quantités de viande dans la boucle depuis plusieurs mois
Après
ce traitement, qui je suppose servait à « saisir » la viande pour l’agglomérer,
les plaques allaient au congélateur. Le lendemain, ces plaques étaient sorties
et on les passait dans un énorme emporte-pièce hydraulique qui découpait les
plaques congelées en cubes de 3 cm de côté.
> Ces cubes se déversaient
alors sur un tapis roulant, et 2 ou 3 ouvriers dont je faisais partie
éliminaient tous les ratés, les formes bizarres, les morceaux trop petits ou
trop gros. Ça demandait une grosse concentration, et la cadence était très
soutenue. Les cubes passaient dans un autre surgélateur à l’azote, avant de se
déverser dans des sacs d’environ 20 kg.
> Les « non conformes » étaient
conservés, passaient dans la baratte suivante, puis sur les plaques suivantes,
etc. Virtuellement, il est tout à fait possible que des petites quantités de
viande faisaient la boucle baratte - plaque - surgélation - cubes - non conforme
- baratte - plaque, etc. depuis des mois...
> Vous pouvez vous en douter,
les cadences étaient très dures à suivre, les heures supplémentaires fréquentes
et le travail éreintant. Les conditions « humaines » me semblaient
particulièrement inhumaines, justement.
> Cette viande a été mélangée à de la viande saine
> Cette viande a été mélangée à de la viande saine
Les conditions d’hygiène n’étaient guère meilleures. Je passe sur
l’odeur de viande écœurante. Le matin quand on arrivait, c’était propre ; mais
très rapidement, vu nos activités, on pataugeait dans une boue grasse et
sanglante qui recouvrait le sol.
> Celle-ci était particulièrement
glissante, donc très dangereuse. Pour ne pas avoir à la nettoyer, et donc
ralentir la cadence, on aspergeait régulièrement le sol de sel, ce qui
augmentait la quantité de boue au fil des heures. Malgré ce sel, je suis tombé
plusieurs fois.
> Lorsqu’on mettait la viande destinée aux cubes de
viande sur les plaques, on avait très rapidement du sang sur tout le haut du
corps et jusqu’aux épaules, malgré nos gants qui remontaient jusqu’aux coudes.
Ambiance, ambiance...
> Enfin, il y a eu cette fois, lors un arrivage
manifestement avarié (la viande était violette, verte, jaune, et puait, bien que
surgelée), où le patron nous a imposé de trier et d’en garder impérativement
40%. Qu’on se débrouille ! Cette viande a été mélangée à de la viande saine. Et
hop ! Ni vu, ni connu, je t’embrouille.
> Une main dans le hachoir
> Une main dans le hachoir
> Nous manions des feuilles de boucher sans avoir été formés, nous étions
en contact permanent avec des hachoirs, des machines rotatives... Stress,
fatigue, objets dangereux ; avec ce cocktail, vous devinez sans doute où je veux
en venir. J’ai assisté à plusieurs accidents du travail, plus ou moins graves.
> Lors du dernier en date, et celui qui m’a décidé à partir, un de mes
collègues (en CDI, moi j’étais intérimaire) a passé la main dans un des
monstrueux hachoirs à viande hachée. Il poussait régulièrement la viande à la
main quand elle se bloquait. Bien sûr, à chaque remarque, il objectait qu’il «
faisait gaffe ».
> Cette fois ci, c’était celle de trop. Doigts tout
juste reliés à la main par des restes de peau, tendons arrachés et j’en passe.
Une catastrophe et des promesses de handicap à vie...
> Alors qu’il
montait dans le fourgon des pompiers, le patron est venu le voir, et lui a dit «
qu’il aurait dû lui dire s’il voulait des congés, c’était pas la peine de faire
ça ». Quel connard ! J’en ai encore la gorge nouée à y repenser. C’était un des
ouvriers les plus productifs de l’usine, et il avait la trentaine, donc encore
bien trente ans de boulot devant lui...
> Je ne mange que la viande du boucher
> Je ne mange que la viande du boucher
> Inutile d’en rajouter je crois, j’ai déjà fait bien assez long. Inutile
aussi de vous dire que je suis dégoûté à vie de la viande hachée industrielle.
Le seul hachis que je mange, c’est celui que le boucher du coin de la rue sort
de sa machine devant mes yeux. J’ai toujours évité les plats préparés et préféré
la bonne cuisine et le partage. Cette expérience n’a fait que me conforter dans
mes opinions.
> Je n’ai jamais su qui étaient les clients de « notre »
viande, et sous quelle marque elle était commercialisée. Les conditionnements
sous lesquels elle sortait (10, 20 kg ou plus) me font penser qu’elle était
destinée à l’industrie agro-alimentaire (plats préparés), et certainement pas
aux commerces ou supermarchés.
> Je ne suis pas resté suffisamment
longtemps pour en savoir plus non plus. Dès que j’ai pu, j’ai sauté sur la
première mission d’intérim qui me permettait de sortir de là, en me promettant
de ne jamais y retourner.
> Minerai de viande : « Avant, on n’osait pas en faire de la bouffe pour chat »
> Minerai de viande : « Avant, on n’osait pas en faire de la bouffe pour chat »
La « viande » de nos plats préparés porte le nom de minerai, « des bouts de machin, de gras notamment, catégoriquement de la merde. Il y a 40 ans, cette matière allait à l’équarrissage pour être brûlée », nous dit un expert.
> Ma mère n’a jamais cuisiné. J’ai passé mon enfance à manger des petites
quiches vertes toutes molles et des lasagnes à la bolognaise surgelées.
>
Le scandale de la viande de cheval 100% pur bœuf a éclaté la semaine dernière,
et aucune surprise pour moi : je me doutais bien que ce qu’il y avait dans ma
moussaka micro-ondée n’était pas de la vraie viande, saillante et fraîche.
> Ces petits bouts de trucs marrons étaient denses sous la dent et je
crois que cela me suffisait. La sauce rouge (je n’ose plus affirmer que c’était
de la tomate) faisait passer le tout. Cela ne m’a jamais empêché de dormir.
> Je ne pensais pas qu’on me mettrait un jour face à la triste et
dégoûtante réalité : j’ai mangé des centaines de kilos de « minerai de viande »
donc de déchets.
> C’est un article publié sur Rue89 par Colette Roos
qui m’a appris l’existence de ce mot. Certains de mes proches l’avaient
découvert en écoutant France Inter ce week-end et ils sont restés bloqués sur
des images de terrils, de sidérurgie.
> En cliquant sur le mot « minerai
» – une page Wikipédia a aussi été créée le mardi 12
février – je suis tombée sur cette définition :
> « Un mélange de déchets
à base de muscles, d’os et de collagène. »
> C’est le mot « collagène »
qui m’ennuie le plus.
> « Celui qui a haché le minerai a arnaqué »
> « Celui qui a haché le minerai a arnaqué »
> Colette renvoie aussi vers le blog de Fabrice Nicolino, sur lequel est posté un document officiel [PDF] : la spécification
technique n°B1-12-03 du 28 janvier 2003 applicable aux viandes hachées et aux
préparations de viandes hachées.
> A sa lecture, cela se confirme. On
peut donc mettre du « minerai » dans la viande hachée, « qui provient des
muscles striés et des affranchis » (y compris les tissus graisseux).
>
Donc : après avoir découpé les morceaux « nobles » (entrecôte, faux-filet...) du
bœuf, l’abattoir récupère les chutes non commercialisables, un bloc de 5 ou 10
kg vendu aux industriels pour la fabrication des plats préparés : boulettes de
viande, raviolis, lasagnes, hachis parmentier.
> Cela représente 10% à
15% de la masse de l’animal.
> « De l’âne et du mulet, personne ne s’en rendra compte »
> L’affaire des lasagnes Findus devient plus compréhensible.
> Il
est impossible de confondre un steak de viande bovine et un steak de cheval,
c’est facile de faire la différence même pour moi et les types de Comigel –
fournisseur de Findus et de Picard – ne s’y seraient pas laissé prendre. Même en
petits morceaux, les deux matières ne se ressemblent pas : la viande bovine est
plus rouge, plus grasse, elle n’a pas la même tenue.
> Mais, à l’inverse,
on peut prendre du minerai de porc ou de cheval (haché) pour un minerai de bœuf,
très facilement. Constantin Sollogoub, ancien inspecteur des abattoirs à la
retraite, m’explique :
> « Quand le minerai est haché il devient un magma
prêt à entrer dans les plats préparés. On ne peut plus savoir ce que c’est
qu’avec des tests poussés. La mixture peut également contenir de l’âne et du
mulet, personne ne s’en rendra compte. Celui qui a haché le minerai et qui a
réalisé le mélange entre le bœuf et le cheval est celui qui a arnaqué. Les
autres se sont fait avoir. »
> Il note qu’il est aussi possible de
retrouver des parcelles de viande de porc dans des produits halal : c’est déjà arrivé .
> «
Même pas bon pour les chats »
> Constantin Sollogoub est un ancien vétérinaire libéral, sympa, enrôlé
par l’Etat pour faire des inspections dans sa région (Nevers). Il nous dit qu’il
connaît bien la Roumanie, pour y être allé dans le cadre de son association «
Coopération et Échanges vétérinaires » . Selon lui, « au passage », on y trouve
surtout des vaches à lait et la viande qui en est issue est de mauvaise qualité.
> Constantin Sollogoub se doutait qu’un scandale allait éclater un jour.
A propos du minerai, il dit en se marrant :
> « Ce sont des bouts de
machin, de gras notamment. En fait, c’est catégoriquement de la merde. Il y a 40
ans, cette matière allait à l’équarrissage pour être brûlée. Les industriels
n’osaient même pas en faire de la bouffe pour chat.
> Là-dessus, nos
grandes maisons auréolées de luxe et de qualité, comme Picard, ont décidé que
c’était du gâchis... Avec les progrès de la chimie additionnelle, c’est devenu
possible d’en faire quelque chose. C’est presque bon à manger, ça a bonne
allure. Ces morceaux sont donc ramassés, mis en bloc et congelés et ils se
baladent à droite et à gauche. »
> Une solution : redevenir parano
> Une solution : redevenir parano
> Constantin Sollogoub pense que la solution est de redevenir parano et
de ne consommer que le steak haché que l’on voit passer dans la machine du
boucher. Celui qui est dans les rayons d’hypermarchés est moins sûr. Une
dizaines d’acteurs ont probablement spéculé sur la matière, la qualité en a
forcément pris un coup.
> De son côté, Colette Roos conseille de se
remettre à cuisiner avec des bons produits. Les lasagnes bolognaises, c’est 45 minutes de préparation. Et il faut avoir
des feuilles de laurier sous la main.
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