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jeudi 28 février 2013

LA VIANDE (SUJET D ACTUALITÉ)

IL Y A BIEN LONGTEMPS QUE L ON NE DOIT PLUS SAVOIR CE QUE L ON MANGE



POUR INFO
> J’ai travaillé dans une usine de « transformation de viande », et je suis dégoûté définitivement de toutes les viandes hachées surgelées et des plats préparés.
> C’était tellement « fou » pour des gens normaux que ma famille m’a conseillé de l’écrire quelque part, ce que je n’ai jamais eu le courage de faire. Rue89 me donne l’occasion de témoigner, donc voici quelques souvenirs.
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> Dans ces usines, on transforme effectivement des bas morceaux tout à fait corrects en merde. La recette était simple : on recevait des palettes de bas morceaux de marques de boucheries industrielles connues comme Bigard, qu’on décongelait dans des barattes (des sortes de monstrueuses bétonnières de deux mètres de diamètre dans lesquelles on envoie de l’eau bouillante sous pression pour décongeler tout ça en vitesse), et on y ajoutait au cours de trois malaxages successifs entre 30 et 40% du poids en graisse, plèvre, cartilages et autres collagènes.
> On obtenait des quantités phénoménales de purée de viande qu’on mettait dans des bacs de 10 kg et qu’on tassait à coups de poings, puis qu’on renvoyait au surgélateur par palettes de 70 caisses. Oui, car on l’ignore souvent, mais on peut surgeler de la viande plusieurs fois de suite, au contraire de la congélation classique.
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> Azote liquide pour agglomérer la viande
> Il y avait aussi la ligne des « cubes de viande ». Vous êtes vous déjà demandé comment ils font pour vous servir des cubes de viande si magnifiquement cubiques ?
> Voilà la recette : en sortie de baratte, les ouvriers au nombre de deux ou trois piochent à la main d’énormes brassées de viande sanguinolente, qui sont transférées dans une sorte d’énorme presse avec de nombreuses « étagères ».
> On fait descendre les mâchoires qui compressent cette viande, et pour mieux l’agglomérer, on fait circuler entre les plaques (mais, je suppose, pas en contact direct avec la viande, enfin je l’espère) de l’azote liquide.
> Quand cette machine était en route ça puait tellement la chimie qu’on avait l’impression d’être près des raffineries de l’Etang de Berre... L’azote étant un des composés de l’air, je suppose qu’il s’évaporait au sortir de la presse s’il y avait eu contact avec la viande. Mais quand même...

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Des petites quantités de viande dans la boucle depuis plusieurs mois 

Après ce traitement, qui je suppose servait à « saisir » la viande pour l’agglomérer, les plaques allaient au congélateur. Le lendemain, ces plaques étaient sorties et on les passait dans un énorme emporte-pièce hydraulique qui découpait les plaques congelées en cubes de 3 cm de côté.
> Ces cubes se déversaient alors sur un tapis roulant, et 2 ou 3 ouvriers dont je faisais partie éliminaient tous les ratés, les formes bizarres, les morceaux trop petits ou trop gros. Ça demandait une grosse concentration, et la cadence était très soutenue. Les cubes passaient dans un autre surgélateur à l’azote, avant de se déverser dans des sacs d’environ 20 kg.
> Les « non conformes » étaient conservés, passaient dans la baratte suivante, puis sur les plaques suivantes, etc. Virtuellement, il est tout à fait possible que des petites quantités de viande faisaient la boucle baratte - plaque - surgélation - cubes - non conforme - baratte - plaque, etc. depuis des mois...
> Vous pouvez vous en douter, les cadences étaient très dures à suivre, les heures supplémentaires fréquentes et le travail éreintant. Les conditions « humaines » me semblaient particulièrement inhumaines, justement.

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Cette viande a été mélangée à de la viande saine
Les conditions d’hygiène n’étaient guère meilleures. Je passe sur l’odeur de viande écœurante. Le matin quand on arrivait, c’était propre ; mais très rapidement, vu nos activités, on pataugeait dans une boue grasse et sanglante qui recouvrait le sol.
> Celle-ci était particulièrement glissante, donc très dangereuse. Pour ne pas avoir à la nettoyer, et donc ralentir la cadence, on aspergeait régulièrement le sol de sel, ce qui augmentait la quantité de boue au fil des heures. Malgré ce sel, je suis tombé plusieurs fois.
> Lorsqu’on mettait la viande destinée aux cubes de viande sur les plaques, on avait très rapidement du sang sur tout le haut du corps et jusqu’aux épaules, malgré nos gants qui remontaient jusqu’aux coudes. Ambiance, ambiance...
> Enfin, il y a eu cette fois, lors un arrivage manifestement avarié (la viande était violette, verte, jaune, et puait, bien que surgelée), où le patron nous a imposé de trier et d’en garder impérativement 40%. Qu’on se débrouille ! Cette viande a été mélangée à de la viande saine. Et hop ! Ni vu, ni connu, je t’embrouille.

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Une main dans le hachoir
> Nous manions des feuilles de boucher sans avoir été formés, nous étions en contact permanent avec des hachoirs, des machines rotatives... Stress, fatigue, objets dangereux ; avec ce cocktail, vous devinez sans doute où je veux en venir. J’ai assisté à plusieurs accidents du travail, plus ou moins graves.
> Lors du dernier en date, et celui qui m’a décidé à partir, un de mes collègues (en CDI, moi j’étais intérimaire) a passé la main dans un des monstrueux hachoirs à viande hachée. Il poussait régulièrement la viande à la main quand elle se bloquait. Bien sûr, à chaque remarque, il objectait qu’il « faisait gaffe ».
> Cette fois ci, c’était celle de trop. Doigts tout juste reliés à la main par des restes de peau, tendons arrachés et j’en passe. Une catastrophe et des promesses de handicap à vie...
> Alors qu’il montait dans le fourgon des pompiers, le patron est venu le voir, et lui a dit « qu’il aurait dû lui dire s’il voulait des congés, c’était pas la peine de faire ça ». Quel connard ! J’en ai encore la gorge nouée à y repenser. C’était un des ouvriers les plus productifs de l’usine, et il avait la trentaine, donc encore bien trente ans de boulot devant lui...

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Je ne mange que la viande du boucher
> Inutile d’en rajouter je crois, j’ai déjà fait bien assez long. Inutile aussi de vous dire que je suis dégoûté à vie de la viande hachée industrielle. Le seul hachis que je mange, c’est celui que le boucher du coin de la rue sort de sa machine devant mes yeux. J’ai toujours évité les plats préparés et préféré la bonne cuisine et le partage. Cette expérience n’a fait que me conforter dans mes opinions.
> Je n’ai jamais su qui étaient les clients de « notre » viande, et sous quelle marque elle était commercialisée. Les conditionnements sous lesquels elle sortait (10, 20 kg ou plus) me font penser qu’elle était destinée à l’industrie agro-alimentaire (plats préparés), et certainement pas aux commerces ou supermarchés.
> Je ne suis pas resté suffisamment longtemps pour en savoir plus non plus. Dès que j’ai pu, j’ai sauté sur la première mission d’intérim qui me permettait de sortir de là, en me promettant de ne jamais y retourner.

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Minerai de viande : « Avant, on n’osait pas en faire de la bouffe pour chat »

La « viande » de nos plats préparés porte le nom de minerai, « des bouts de machin, de gras notamment, catégoriquement de la merde. Il y a 40 ans, cette matière allait à l’équarrissage pour être brûlée », nous dit un expert.
> Ma mère n’a jamais cuisiné. J’ai passé mon enfance à manger des petites quiches vertes toutes molles et des lasagnes à la bolognaise surgelées.
> Le scandale de la viande de cheval 100% pur bœuf a éclaté la semaine dernière, et aucune surprise pour moi : je me doutais bien que ce qu’il y avait dans ma moussaka micro-ondée n’était pas de la vraie viande, saillante et fraîche.
> Ces petits bouts de trucs marrons étaient denses sous la dent et je crois que cela me suffisait. La sauce rouge (je n’ose plus affirmer que c’était de la tomate) faisait passer le tout. Cela ne m’a jamais empêché de dormir.
> Je ne pensais pas qu’on me mettrait un jour face à la triste et dégoûtante réalité : j’ai mangé des centaines de kilos de « minerai de viande » donc de déchets.
> C’est un article publié sur Rue89 par Colette Roos qui m’a appris l’existence de ce mot. Certains de mes proches l’avaient découvert en écoutant France Inter ce week-end et ils sont restés bloqués sur des images de terrils, de sidérurgie.
> En cliquant sur le mot « minerai » – une page Wikipédia a aussi été créée le mardi 12 février – je suis tombée sur cette définition :
> « Un mélange de déchets à base de muscles, d’os et de collagène. »
> C’est le mot « collagène » qui m’ennuie le plus.

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« Celui qui a haché le minerai a arnaqué »
> Colette renvoie aussi vers le blog de Fabrice Nicolino, sur lequel est posté un document officiel [PDF] : la spécification technique n°B1-12-03 du 28 janvier 2003 applicable aux viandes hachées et aux préparations de viandes hachées.
> A sa lecture, cela se confirme. On peut donc mettre du « minerai » dans la viande hachée, « qui provient des muscles striés et des affranchis » (y compris les tissus graisseux).
> Donc : après avoir découpé les morceaux « nobles » (entrecôte, faux-filet...) du bœuf, l’abattoir récupère les chutes non commercialisables, un bloc de 5 ou 10 kg vendu aux industriels pour la fabrication des plats préparés : boulettes de viande, raviolis, lasagnes, hachis parmentier.
> Cela représente 10% à 15% de la masse de l’animal.

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« De l’âne et du mulet, personne ne s’en rendra compte »
> L’affaire des lasagnes Findus devient plus compréhensible.
> Il est impossible de confondre un steak de viande bovine et un steak de cheval, c’est facile de faire la différence même pour moi et les types de Comigel – fournisseur de Findus et de Picard – ne s’y seraient pas laissé prendre. Même en petits morceaux, les deux matières ne se ressemblent pas : la viande bovine est plus rouge, plus grasse, elle n’a pas la même tenue.
> Mais, à l’inverse, on peut prendre du minerai de porc ou de cheval (haché) pour un minerai de bœuf, très facilement. Constantin Sollogoub, ancien inspecteur des abattoirs à la retraite, m’explique :
> « Quand le minerai est haché il devient un magma prêt à entrer dans les plats préparés. On ne peut plus savoir ce que c’est qu’avec des tests poussés. La mixture peut également contenir de l’âne et du mulet, personne ne s’en rendra compte. Celui qui a haché le minerai et qui a réalisé le mélange entre le bœuf et le cheval est celui qui a arnaqué. Les autres se sont fait avoir. »
> Il note qu’il est aussi possible de retrouver des parcelles de viande de porc dans des produits halal : c’est déjà arrivé .
> « Même pas bon pour les chats »
> Constantin Sollogoub est un ancien vétérinaire libéral, sympa, enrôlé par l’Etat pour faire des inspections dans sa région (Nevers). Il nous dit qu’il connaît bien la Roumanie, pour y être allé dans le cadre de son association « Coopération et Échanges vétérinaires » . Selon lui, « au passage », on y trouve surtout des vaches à lait et la viande qui en est issue est de mauvaise qualité.
> Constantin Sollogoub se doutait qu’un scandale allait éclater un jour. A propos du minerai, il dit en se marrant :
> « Ce sont des bouts de machin, de gras notamment. En fait, c’est catégoriquement de la merde. Il y a 40 ans, cette matière allait à l’équarrissage pour être brûlée. Les industriels n’osaient même pas en faire de la bouffe pour chat.
> Là-dessus, nos grandes maisons auréolées de luxe et de qualité, comme Picard, ont décidé que c’était du gâchis... Avec les progrès de la chimie additionnelle, c’est devenu possible d’en faire quelque chose. C’est presque bon à manger, ça a bonne allure. Ces morceaux sont donc ramassés, mis en bloc et congelés et ils se baladent à droite et à gauche. »

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Une solution : redevenir parano
> Constantin Sollogoub pense que la solution est de redevenir parano et de ne consommer que le steak haché que l’on voit passer dans la machine du boucher. Celui qui est dans les rayons d’hypermarchés est moins sûr. Une dizaines d’acteurs ont probablement spéculé sur la matière, la qualité en a forcément pris un coup.
> De son côté, Colette Roos conseille de se remettre à cuisiner avec des bons produits. Les lasagnes bolognaises, c’est 45 minutes de préparation. Et il faut avoir des feuilles de laurier sous la main. 

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